mercredi 2 juin 2010

Chicago


Convoi d'alcool illicite.

Lac Michigan

Le John Hancok Center. En ce jour, bien plus qu'un gratte-ciel.

jeudi 27 mai 2010

Pour expliquer une différence

Je ne sais pas si le verbe français "déjeuner" est encore perçu en France ou au Québec comme un assemblage de trois morphèmes :
1. -jeûn-, soit le jeûne de la nuit,
2. dé-, qui doit signifier ici "fin, rupture avec ce qu'exprime la base de mot" (plutôt que "le contraire de", mais je me trompe peut-être),
3. -er, suffixe courant de la langue française qui signifie l'action,
pour le sens global de "mettre fin au jeûne, rompre le jeûne (celui de la nuit)".

Mais si le Québécois et le Français ne "déjeunent" plus à la même heure, on peut supposer qu'il y a un rapport avec l'importance traditionnellement accordée aux différents repas de la journée. Classiquement, le matin québécois comporte viandes et féculents en proportions généreuses et se veut ainsi une véritable "rupture du jeûne" : il n'y a donc aucune raison de l'affubler d'un "petit" ou d'appeler "déjeuner" le repas du midi, qui reste donc le "dîner", comme il se nommait chez nous au temps jadis.
Cette importance du repas du matin est moindre en France (sauf ignorance de ma part) et la langue semble considérer que le jeûne de la nuit trouve son véritable terme lors du repas du midi, le repas du matin n'étant alors qu'une rupture partielle du jeûne : un "
petit déjeuner" que viendrait ensuite compléter le "déjeuner" tout court, repoussant le "dîner" au repas du soir et faisant tomber en désuétude le mot "souper", pauvre victime d'un insuffisant matin.

Et tout cela parce que tout à l'heure, je déjeune Chez
Jeannine avec Julie.

vendredi 23 avril 2010

Avril

Il y a des jours que la neige a disparu mais je goûte encore la sensation de l’herbe sous mes pas comme une nouveauté. Après des mois de sol minéral, la redécouverte du tapis organique : l’être vivant se reconnaît à la mollesse et à la peur qu’on a de le l’abîmer. Cependant il se montre docile et, au fil de la marche, divulgue gentiment ses rumeurs d’été, de plus en plus vert, malgré les cicatrices de terre et de sécheresse que lui ont fait les glaces.

En France les arbres verdissent dès la fin du mois de mars mais ici les bourgeons turgescents refusent d’éclater enfin, laissant les arbres grêles en paquets de squelettes sales sur le ciel bleu et l’herbe verte. Québec : l’automne flamboie, l’hiver porte son nom, le printemps paresse. Mais j’attends mai.

jeudi 8 avril 2010

Sur l'oiseau noir du Québec

On dira que Gaston Miron occupe dans la poésie québécoise une place similaire à celle d'Arthur Rimbaud dans la poésie française, avec Emile Nelligan peut-être, mais il faudrait alors faire entrer Baudelaire dans le jeu de la comparaison. Je n'en parlerai pas plus.
En revanche, j'aurais presque envie de vous le lire ; je crois que je saurais lui donner une voix, un corps. J'aurais la bouche pleine de ça, je ferais longuement rouler la matière sonore dans ma bouche, ce serait monotone mais très généreux. Dites-le à voix haute.





La Corneille

Corneille, ma noire
corneille qui me saoules
opaque et envoûtante
venue pour posséder ta saison et ta descendance

Déjà l'été goûte un soleil de mûres
déjà tu conjoins en ton vol la terre et l'espace
au plus bas de l'air de même qu'en sa hauteur
et dans le profond des champs et des clôtures
s'éveille dans ton appel l'intimité prochaine
du grand corps brûlant de juillet

Corneille, ma noire
parmi l'avril friselis

Avec l'alcool des chaleurs nouvelles
la peau s'écarquille et tu me rends
bric-à-brac sur mon aire sauvage et fou braque
dans tous les coins et recoins de moi-même
j'ai mille animaux et plantes par la tête
mon sang dans l'air remue comme une haleine

Corneille, ma noire
jusqu'en ma moelle

Tu me fais prendre la femme que j'aime
du même trébuchant et même
tragique croassement et la réciproque
secousse des corps

Corneille, ma noire


Gaston Miron, L'homme rapaillé

vendredi 26 mars 2010

Tempête de neige 22 mars

Deux jours plus tôt, à Québec, on fêtait trois semaines de beau temps quasi parfait.



Mais la neige n'avait pas dit son dernier mot.


dimanche 21 mars 2010

Art Gallery of Ontario

Populeux, sonore, moderne, tout à l’image en fait de celui du Louvre, le hall de l’Art Gallery of Ontario, le plus grand musée de Toronto avec le Royal Ontario Museum, permet de retrouver jusqu’à cette impression tout-à-fait troublante de pénétrer un grand parc d’attractions. Difficile de ne pas lire sur les visages la pénible soumission au devoir culturel, jamais trop compris, et dont le corollaire est l’ennui plus souvent que le plaisir ; ou alors l’anxiété de ne pas savoir à quoi s’attendre, du risque de ne pas trouver la révélation qu’on attend, de ne pas être sensible – sensible bien comme il faut, chez le snob, mais aussi sensible pour de vrai, consentant, une peur qui a peut-être une parenté avec celle de ne pas jouir, mais je m’égare.


Deux découvertes fortes.
Rodin, d’abord, que je n’avais jamais appréhendé vraiment. La Gallery en possède notamment une petite Eve en pierre blanche* et un Adam gigantesque, en bronze je crois. C’est l’Eve tout particulièrement qui m’a fasciné : la pierre est si pure qu’on la croirait faite dans un nuage, et dans mon souvenir la lumière qu’elle renvoie la nimbe très légèrement ; seule, à la cuisse, une petite veine bleu ou noire empêche de parler d’une vision éthérée. Eve est figée à l’instant de la honte, son visage n’est pas enfouit dans la pi
erre de son bras mais il est impossible à l’œil spectateur d’y avoir accès. Mais il y a aussi une grande sensualité, à cause de la main qui passe dans les cheveux, des bras qui dissimulent les seins en les embrassant, et de la texture de cette pierre qui semble si douce, d’où un certain malaise moral, peut-être, une contemplation comme mise en porte-à-faux avec elle-même.

He
nry Moore, le lendemain, que je ne connaissais pas du tout. Ce n’est pas venu tout de suite, ces grandes sculptures massives m’ont d’abord parues tout-à-fait hermétique. Et puis, l’une d’entre elles s’est ouverte, je ne sais plus laquelle mais c’était une femme allongée sur le côté. On touchait à quelque chose de très lointain, comme à une note fondamentale de la représentation de la femme dans toutes les cultures occidentales depuis le fin fond de l’antiquité. Cette note à fait éclore plusieurs autres sculptures après, mais pas toutes. Oh, je vois que je n’ai rien à dire qui ne soit qu’imagination, alors je me contenterais de vous inviter, si un jour l’occasion se présente, à prendre le temps d’apprécier Moore. « Il y a quelque chose. »


Une sculpture d'Henry Moore devant l'hôtel de ville de Toronto.

Tandis que je marchais entre les sculptures, le gardien de la salle s’est approché dans l’intention de discuter avec moi. J’ai regretté de ne pas savoir assez l’anglais pour ne pas rompre un possible, celui d’un beau moment peut-être.

* Il semble en fait que l'œuvre définitive soit en bronze.

dimanche 14 mars 2010

Toronto


Le long du lac Ontario est une succession serrée de petits quais, de ponts en vagues, de promenades en bois et de parcs simples : c’est le waterfront, d’une solitude exquise à la lueur du matin, et qu’il faut goûter comme ça.

Lueur, lumière rase, et douce à la peau, qui dore les pelouses laissées mortes par les neiges évacuées, et qui se noie après dans le ciel vide et le lac, qui le redit.
Cette simplicité vaste de la palette, j’en retrouvais les reflets dans toute la ville, à moins que ce ne fût, justement, le charme éthéré d’un limpide début de mars.


J’ai posé ma paume et mes doigts nus sur le béton vierge et rugueux de l’un des bâtiments les plus hauts du monde, le second pour être exact, et le premier il n’y a pas trois ans.

L’un des plus hauts, et l’un des plus inutiles aussi : la CN tower n’est pas beaucoup plus que ce qu’on imagine, soit une antenne sur laquelle s’est empalée un restaurant. Je l’aime bien cependant, ce long doigt tendu comme un défi – aux gens qui sont de l’autre côté du lac ?


Il y a un moment où il faut s’arrêter de marcher, bien qu’il y ait encore du chemin jusque derrière l’horizon, et alors on se dit qu’on n’ira jamais plus loin dans cette direction. Toronto était probablement le point le plus à l’ouest de mon séjour en Amérique du nord, et je conserve ici la mémoire d’un point géographique que je ne dépasserai pas avant longtemps, peut-être même jamais. C’était du côté de High Park, sur une petite plage de sable froid.

Il ne me manque plus que trois photos.


Je préfère les quartiers périphériques aux buildings à la mode du cœur de Toronto, mais c’est aussi par le contraste qu’il font avec le quartier des affaires, donc il n’y a pas rejet.

Contraste, car couleurs sombres, allures d’abandon et de négligence des pavillons de bois, couleurs crues et bric-à-bracs des commerces de briques. Dans les jardins rendus sauvages par la neige disparu, des vieux jouets ça et là, et quelques détritus, attisent un sentiment de pauvreté, et dans le ciel les fils électriques s’entremêlent au réseau compliqué des câbles du tramway.

Toujours au-dessus des toits, le profil aigü de la tour CN.

jeudi 4 mars 2010

Mars

Avec le premier jour du mois sont arrivés, tous dans le même bateau : un grand soleil, de l’air doux, un ciel limpide. La neige recule lentement à partir des bordures, comme le sang qui reflue vers le cœur quand on a froid. Elle découvre des pelouses mortes et de la terre vierge ; des chemins apparaissent qu’on avait oublié. Les flaques d’eau s’approfondissent doucement. Les écureuils se font moins discrets, et tout fleure bon le printemps, même si les arbres restent obstinément noirs. Prudence est de mise, pourtant, car Mars belliqueux est un mois de tempêtes.

dimanche 28 février 2010

Ce n'est pourtant pas la saison...



Fleurs de canneberge & son fruit en coupe

samedi 27 février 2010

L'alter ego du Chinook

"Nin nin niiin niiin niiiin."

Sur la route qui mène aux pays des Tri-fluviens, mon conducteur du jour m’a fait le portrait d’un curieux phénomène, le Chinook, pour lequel je me suis empressé d’imaginer un article, parce qu’il m’a plu. Oui mais voilà : il semble que la version de mon conteur soit pour le moins artiste, et que les dires wikipédesques proposent exactement le contraire : la symétrie est si frappante qu’il y a lieu de se demander si mon conducteur ne pensait pas rouler vers Québec en allant à Trois-Rivières…

Le Chinook de sa connaissance est un vent violent, subit et glacial, qui sévit deux ou trois fois chaque été dans les plaines vastes et sèches de l’est de l’Alberta. En l’espace d’une demi-heure, la température, généralement caniculaire à cette période de l’année, chute de plusieurs dizaines de degrés jusqu’à atteindre les régions négatives, avant de remonter tout aussi promptement. Les agriculteurs ne seraient jamais dans les champs sans avoir à portée de main des vêtements d’hiver, mais le phénomène, mal connu, attraperait chaque année une poignée de touristes.

Certes, l’autre Chinook se caractérise aussi par des vents brutaux, mais il ne touche au mieux que l’ouest de l’Alberta, sévit principalement en hiver et, surtout, consiste en une forte hausse des températures, laquelle se réalise plutôt en deux fois une demi-heure. Il s’accompagne en outre de la formation d’une arche nuageuse donnant lieu à d’émouvants crépuscules, et peut faire fondre d’impressionnants volumes de neige en l’espace d’une journée.

Qui faut-il croire ? Sur qui jeter son dévolu ? Mon conducteur roulait peut-être à contresens, mais force est de constater la supériorité poétique de sa description. Des champs jaunes de céréales mûres jusqu’à la ligne d’horizon, sous un ciel impeccable, écrasé par la chaleur et le silence ; et tout à coup, ce courant d’air qui passe sans mot dire et plonge la plaine dans un hiver infernal, pétrifiant l’ignard Européen venu prendre des photos ; vraiment, est-ce que ça ne vaut pas un méchant crépuscule ?

jeudi 25 février 2010

Trois-Rivières

Je descends là par un matin de neige, du côté des industries, et il n’y a personne. Le désert, le silence, les usines arrêtées, le train immobile sur le chemin de fer, et la neige sur tout ça, confèrent aux lieux une sorte de poésie russe probablement issue d’une idée surfaite des villes mortes de Sibérie, mais qui n’est pas pour me déplaire. Assez rapidement les structures de métal et les wagons s’effacent au profit de bâtisses résidentielles plus coquettes, où semblent dominer le rouge et le blanc, et la brique, cela avec des églises et des cathédrales aux toits vert-de-gris. Aux environs de onze heure il n’y a pas beaucoup plus de Tri-fluviens dans le centre-ville que du côté des usines, et toujours le même silence, qui me plait.

Le centre-ville est assez joli et donne sur le Saint-Laurent ; on peut le contempler à partir d’une promenade qui en été doit être agréable et donner l’impression d’être sur le pont d’un navire, ou quelque chose comme ça. La vue est belle : le fleuve est vaste, la rive lointaine, la lumière partout ; à gauche, un gros bateau rouge semble attendre depuis des mois ; sur l’eau, de petits morceaux de glace progressent lentement ; à droite, l’arc élégant du pont Laviolette clôture le panorama. Quand vient la fin d’après-midi, la lumière jaune enveloppe comme un gaz ce grand paysage presque entièrement fait de ciel et d’eau.

J’ai froid et je veux un grand café. J’entre quelque part et je suis surpris d’y trouver autant de monde : c’est comme si je venais d’entrer dans la ville pour de vrai. Mais le silence ne cède qu’à de discrètes conversations, la plupart des gens sont seuls et ne parlent pas. Je pose mes mains froides sur les flancs chauds de la tasse.

Le musée du Parc est installé dans un vieux manoir dont le premier propriétaire n’a pas été oublié. C’est donc un musée dans un musée : on y découvre la vie quotidienne d’un prestigieux colon et les créations picturales d'une poignée de jeunes artistes. J’ai aimé les photographies et les vidéos d’Andrea Juan, l’un des membres du projet « Antartica : espace et fragilité ». Elle filme et photographie un personnage enrobé de tissu rouge vif qui se traine et danse sur les glaces antarctiques. Le rouge se répand quelquefois sur d’autres éléments : dans certaines images, on voit des icebergs rouges dériver sur de l’eau noire. Il y a aussi plusieurs photos de paysages parsemés de petits soleils souriants, tous identiques et comme sortis d’un dessin-animé pour enfants. Les soleils sont partout : sur la banquise, sur les icebergs, ou bien concentrés dans un espace clairement délimité. Ils sont angoissants, on dirait une infection virale ou alors un délire, au sens fiévreux du mot.

lundi 15 février 2010

Le rouge et le rose

Il semble que cette fête inventée jadis pour les princesses en mal d’hiver, la Saint-Valentin, soit au Québec beaucoup plus goûtée qu’en France, ce pays qui est pourtant, comme on le sait, le pays de l’Amour. Je n’ai pas la moindre preuve pour appuyer mon hypothèse, si ce n’est que je n’ai jamais vu, en aucun restaurant de lycée ou d’université, un repas nommé « Spécial Saint-Valentin », sauf ici.

Le scandale n’a pas eu lieu : le repas avait plus d’un tour dans son sac : loin de se réserver aux seuls couples, il se proposait aussi, démagogique, à tous les célibataires, aux puceaux, aux veilles gens, et à tout ce que la terre porte encore de sagesse et de stoïcisme. Si je m'en veux, c'est parce que je me suis laissé corrompre quand la lutte était de mise. Mais que pouvais-je faire contre cette petite crème à l'eau de rose et à la framboise ? Probablement rien, c'est pourquoi je l'ai mangé. (Pour la punir, disons.)

vendredi 12 février 2010

jeudi 11 février 2010

New York

42e rue, je suis encore seul dans New York, je cherche le théâtre du film de Louis Malle, sans trouver. L’a-t-il jamais tourné 42e rue, son film ? C’est une bouche de métro que je cherche, le reste viendra tout seul… Rien. Pourtant, ce que j’ai de souvenir correspond bien à cette ambiance : bazar, devantures garnies d’ampoules, rythme et couleurs de la foule. Il y a même la lumière de fin d’après-midi : or orangé, gazeuse ou bien liquide.


Dans les fast-foods, une table court tout le long de la vitrine. Les gens s’installent à vue de tout le monde, et mangent. Ainsi, on marche dans New York ; il y a une vitrine pleine de sacs à main, puis une vitrine pleine de mannequins, puis une une vitrine pleine de gens qui mangent. Mais je ne sais toujours pas pourquoi je pense à Charlie Chaplin.


Le quartier chinois de New York est beaucoup plus chinois que celui de Montréal ; on passe une rue ou deux, et puis, ce n’est pas tant que la foule diminue ou grandit, mais il n’y a quasiment plus que des Chinois, ou du moins des asiatiques, et cela sans que la transition – ou la rupture ? – ait été remarquée. C’est moins vrai de l’architecture qui, me semble-t-il, se sinise assez subitement : consoles, écritures verticales, rouge. Parfois, ce n’est qu’une simple variation de contenant, pour un même contenu : Mc Donald, ou Starbucks. Pour s’en distraire, on entre dans une épicerie orientale, pleine de choses transparentes et gélatineuses, de plaisirs invisibles et de gingembres confis, qu’on avale plus ou moins goulument contre une nuit trop courte.


Little Italy. D’abord, une rue saturée de rouge, de vert, de blanc, et toutes les couleurs qui déteignent dans l’air. Le gonflent, l’envahissent, et sont, plus que jamais, lumière. Mais seulement le temps que l’œil s’y accommode : comme un tableau trop plein de rouge apparait, la première fois, tout rouge.


Un ciel bas de neige en suspension répand la lumière de tout côté, annule les ombres. Les pro-fondeurs disparaissent, les premiers plans, les seconds ; on dirait le dessin d’un enfant qui n’a pas voulu colorier le ciel trop large, et laisse tel quel le blanc corrosif de sa feuille d’imprimerie. L’appareil photo est victime de la même paresse, on croit que c’est la fin du monde derrière les gratte-ciels.


A la proue du vaisseau Manhattan, une jeune étudiante voudrait to stroll le long de la promenade parquetée qui donne sur la mer, la Statue et le soleil foncé. Mais un vil assène à sa poésie un mé-chant mot français, et d’une mauvaise rime l’arrache à ses vœux.


Quelque part dans la rue qui longe le nord de Central Park, la nuit, un raton-laveur fouille dans une poubelle, passablement indifférent aux promeneurs. Las, il rentre chez lui la queue très basse, et le dos rond comme un mauvais chat.

samedi 6 février 2010

En route

Vendredi.

9h38

L'autobus a franchi la frontière il y a une demi-heure, peut-être. Ce ne fut pas une mince affaire, mais je m’en suis sorti sans encombre. Nous roulons vers le sud, donc, et la neige disparait petit à petit… Il n’y a plus que des pelouses brûlées, poudrées ou tachetées de neige ; des nappes de neige, de temps en temps. Et cela dans l’or clair d’un matin au ciel à peu près pur. J’ai vu des fermes aux bâtiments étales et démesurés, tout rouge et bordés de blancs, avec des silos en aluminium, entièrement comme on les imagine quand on pense aux campagnes américaines. Hormis tous ces détails, le paysage n’a guère varié depuis que nous sommes sortis de Montréal ; peut-être comporte-t-il plus de reliefs. Nous nous dirigeons d’ailleurs vers de vieilles montagnes, assez belles vues de l’autobus, et qui pourraient bien être les Appalaches. Cependant, nous sommes encore loin de New York : nous y serons, si tout va, à 16h30.

11h27

Les Appalaches n’étaient en fait qu’un massif montagneux dont nous sommes sortis depuis un certain temps, maintenant. Il semblait complètement vierge : pas une habitation, pas le moindre édicule, seulement des forêts de conifères, des lacs gelés et tachés de neige, des sculptures de stalactites sur le moindre rocher. J’ai vu quelques petites agglomérations depuis – une dizaine de pavillons, parmi les arbres – et beaucoup de drapeaux américains. J’en ai même aperçu un planté sur un rocher, en plein désert : impossible de ne pas savoir où l’on est.

Je crains de me joindre bientôt au chœur hurlant des vessies : j’espère que je pourrais descendre à Albany, sans quoi ma première préoccupation à New York sera inévitablement de me trouver un café, bar où n’importe quel endroit susceptible de m’offrir un lieu de libations.

12h05

Il faut faire une croix sur Albany : nous n’avons pas même traversé la ville. J’attendrai, donc : encore quatre heures et demi.

C’est étrange, cette herbe jaune saupoudrée de neige. On dirait qu’il a neigé en été. Le ciel est toujours bleu clair, lumineux, bleu de janvier, en fait, mais nous arrivons sous un troupeau de légers cumulus, encore tout étincelants mais légèrement sombres à la base.

12h28

Ma première visite aux Etats-Unis aura été celle d’une station service ; j’avais été surpris de trouver un Starbucks dans le restaurant de mon université, je l’ai été davantage encore dans trouver un dans un tel lieu. Outre cela, j’ai noté la variété des barres sucrées vendues dans l’épicerie, dont les trois-quarts des marques m’étaient inconnus. A côté de cela, des sandwichs emballés et des salades en boîte ; on y vend aussi des luettes, des livres qui ont tous un titre en relief brillant comme des lèvres glossées, et des gadgets dont je n’ai pas compris la fonction. Aussi, pour que vous dégagiez le passage, les gens ne disent plus « pardon », mais « sorry ».

Vers 14h00

Et puis, tout à coup :




Samedi.

00h00

Nous étions dans le New Jersey lorsque, le temps d’un sommet de colline, l’ombre de Manhattan s’est détachée au loin, irréelle, la silhouette de l’Empire State Building se détachant nettement parmi ses masses verticales. Plus tard, il y eut un tunnel, et après de longues minutes de nuit l’autobus est apparu en plein Manhattan, parmi les immeubles et les couleurs, dans le jour magnifique. Et j’ai fait mes premiers pas sur la 42e rue.

mardi 26 janvier 2010

J'ai mangé le matin

Il se trouve tout à la fois que je n’ai rien à dire, et qu’il me désespère d’achever ce mois sur un total de cinq articles : situation embarrassante s’il en est une, et qui me contraint, par voie de conséquence, à vous parler de la pomme verte que j’ai mangé hier.



Ceci n’est pas un déjeuner ; c’est-à-dire que c’en est un, mais dans le sens québécois du terme, celui que nous traduirions par l’enfantine formulation de « petit déjeuner ». On notera la dominante anglaise du plus mauvais goût politique à travers la base de pommes de terre, les deux œufs sur le plat (dissimulant leur honte sous leurs blancs), les tranches de bacon, et jusqu’à l’agrume ornemental. Nous dirons, pour rattraper le tout, que la présence de rôties (tartines grillées) est plus internationale ; le muffin, ainsi que la pomme verte, sont des ajouts dont je suis l’auteur, et dont je ne saurais évaluer la pertinence - aussi, je sais que ce tableau serait plus complet avec une ou deux pièces de viande, en plus d’un verre de jus d’orange. Quoi qu’il en soit, le tout est finalement assez lourd pour faire office de repas du midi, et d’ailleurs, la concurrence est rude, même à 13h00, entre le « spécial déjeuner » et le « menu santé » - même si ce conflit devient ridicule dès qu'on intègre au champ de bataille le parti des burgers et des poutines (horreurs de frites et de boulettes de fromage napées de sauce brune).

dimanche 24 janvier 2010

Les gens n'aiment plus l'hiver II

Il n’y a que les maudits Français pour goûter l’hiver des Québécois ; les Québécois, eux, préfèrent de loin la Floride. La neige, le froid, c’est un peu la perruque dans la soupe, l’abomination tri-semestrielle qu’il faut subir de quatre à six mois, et dont consolent de moins en moins les étés décadents.

Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. C’est ce que s’attache à montrer l’anthropologue Bernard Arcand dans son article « Mon grand-père aimait l’hiver »,* dont la partie médiane déploie en gros traits l’histoire des rapports du Québécois à sa saison froide, du XVIe siècle à nos jours : histoire en courbe, qui met en lumière une très nette régression des mentalités – d’où le grand-père du titre.


On sait tous un peu l’horrible petite histoire des premiers Néo-Français : Cartier découvre la région de Québec en plein été, en conclu on ne sait trop comment que le climat n’y est guère différent de celui de France, et l’année d’après, c’est 25 marins qui périssent sur les 110 de l’équipage, à cause du froid, du scorbut, et de l’incapacité de communiquer avec les indigènes. Soixante ans plus tard, Champlain fera passer l’hécatombe du quart aux trois-quarts de l’équipage, avant de stagner autour d’une bonne moitié par hiver.

Et puis, par la force des choses, les colons commencent à s’habituer : ils bricolent, essayent, cessent de s’habiller en français, adaptent leur nourriture, empruntent à l’Europe du Nord et aux Amérindiens de nouvelles techniques de construction, et le tout « si bien que cent ans après les débuts de la colonie on grelottait déjà moins à Québec qu’à Versailles », s’amuse l’anthropologue.

De mortel, l’hiver devient vivable, et même tout-à-fait agréable. Ce qui se comprend facilement : pour une population essentiellement paysanne, les mois de neige sont autant de vacances. Arcand rapporte à ce propos les observations de l’Irlandais Isaac Weld, de passage en ex-Nouvelle-France en 1799 : « lorsqu’on a passé un hiver en ce pays, écrit-il, on commence à ne plus tant redouter la rigueur de cette saison ; et quant aux Canadiens, ils la préfèrent à toutes les autres. C’est pour eux le temps du repos et des plaisirs » - on est donc loin, en ces temps reculés, de « l’ostie de marde blanche » contemporaine. Donc, les Québécois ont aimés l’hiver. Et la culture québécoise s’est faite en hiver. Le conte et la chanson, encore si vivaces, et fondamentaux dans ce pays, sont nés durant les longues soirées oisives où tout le village se réunissait pour décliner le temps en fêtes continuelles.


L’époque d’Isaac Weld constitue le sommet de la courbe ; le XIXe siècle, la révolution industrielle et l’exode rural qu’elle engendre en amorcent le déclin. Une usine peut fonctionner sous la neige, donc l’hiver doit devenir une saison de production comme les autres. Autrefois synonyme de longs repos et de fêtes, l’hiver devient, rapidement, saison ennemie de l’industrie : « il fallait donc s’attendre à ce que les efforts pour combattre la saison froide ne connaissent plus aucun répit. De fait, depuis au moins un siècle, la lutte contre l’hiver s’est transformée en acharnement obsessionnel ». Pour vaincre l’hiver, Montréal est devenue la plus grande ville souterraine du monde (29 kilomètres de corridors relient 10 stations de métro, 2000 commerces, 4 universités, 4 gares, 20 centres commerciaux et 80% des bureaux du centre-ville), et le gouvernement dépense chaque année des sommes colossales pour maintenir son réseau routier contre accumulations et tempêtes. Comme l’illustre Arcand (et je l’ai vérifié moi-même), on peut tout-à-fait vivre au Québec sans jamais croiser l’hiver : « [le] Montréalais moyen pourrait traverser l’hiver en robe de chambre. Peu lui importe qu’à l’extérieur le mercure indique -27°C avec des vents en rafale de 65 kilomètres-heure transformant en poudrerie les 18 centimètres de neige tombés la veille ». Bref.

L’effet pervers de cette victoire est que l’hiver disparaît des imaginaires et redevient étranger aux Québécois. Il n’est dès lors plus concevable qu’une telle saison soit un problème, et sitôt qu’elle le redevient, le temps d’une panne d’électricité ou d’une chute de neige plus importante que la normale, on crie au scandale, on accuse la bavure, et le bulletin météorologique, nourrit de toutes ces inquiétudes et de ce ressentiment, accroît son empire jusqu’au bas des écrans d’ordinateurs. « Chaque étape de notre progrès insatiable dans la lutte contre l’hiver rend celui-ci un peu moins tolérable », c’est ainsi que le progrès nourrit le découragement collectif.


Pour Arcand, le problème vient de ce que l’ensemble des pays du monde, en s’industrialisant, ont adoptés les modes de vie des climats sous lesquels la révolution industrielle est née. Le Québec en est ainsi venu à lutter contre le bon sens, maintenant à plein régime sa production et ses services dans les pires conditions, à coups de millions dépensés chaque jour ne serait-ce que pour l’entretien des routes ou le chauffage intensif des locaux : « l’organisation classique du travail industriel dans un pays aux hivers rigoureux constitue une véritable insulte à la nature », s’emporte l’anthropologue, accusant une véritable aliénation collective éloignant la population de son environnement. Aussi avance-t-il la proposition, qu’il juge audacieuse, de déclarer « les mois de janvier et de février période de vacances nationales », la période l’été étant après tout la plus agréable pour travailler. L’idée (me) fait rêver, mais peut sembler plus fantaisiste qu’audacieuse ; cependant, on laissera sa chance à Bernard Arcand, qui ne fait là que l’esquisse d’une proposition qu’il déploie pleinement dans un autre ouvrage, Abolissons l’hiver ! (Montréal, Editions du Boréal, 1999).

*In Espace et sentiment, ouvrage dirigé par Stéphane Batigne et publié en 2001 aux éditions Autrement.

mercredi 13 janvier 2010

Trois photos

Sur la route, derrière la vitre

Pont, vu des chutes Montmorency

Ibidem

mardi 12 janvier 2010

Augment

(Tout n’a pas changé pour l’unique raison qu’une couleur bien connue s’y est apposée, ce sont aussi les couleurs de l’horizon qui se sont modifiées. Parce qu’il y a des personnes que je n’attends plus, tout simplement, et parce que tout ce que je vais découvrir ici, désormais,ne sera plus que pour moi seul. Je ne dis pas que cela m’attriste, mais ce n’est pas rien que de se redessiner un horizon.)

dimanche 10 janvier 2010

Quid novi ?

Il y a cet avantage à voyager seul qu’on y perd plus facilement ses marques, et qu’on s’en trouve ainsi confronté moins médiatement à l’inconnu qu’on espère, quand celui qui voyage entouré a plus de peine, sans doute, à ne pas voir ce qu’il découvre de derrière les vitraux d’un intérieur familier. Quoique cette idée soit suspecte dans sa simplicité, et que je ne l’écrirais pas si je ne l’écrivais maintenant, elle répond bien à l’état d’un sentiment compliqué qui s’est produit deux fois, lorsque deux fois un entourage familier, mais quitté depuis longtemps, s’est refait autour de moi, investissant un monde où j’étais arrivé seul, et bouleversant par là les nouveaux repères que j’y avais tracé.


Québec n’était plus Québec après que Marine y fut passée, parce que cette ville, que j’avais envisagée sans compagnie préexistante, prit alors dans ses couleurs et sa musique une tonalité amie qui la changea toute entière, comme un secret que l’on partage : une large tranche de tout ce qui était le privilège de ma connaissance se changea en un bizarre morceau de Paris. L’expérience se réitéra un peu plus tard, quoique d’une manière toute différente, mais avec davantage d’ampleur, lorsque ma famille vint à son tour : Québec à nouveau se modifia de leurs regards et de leurs voix trop connues, ainsi que Montréal et plusieurs autres paysages, et depuis je ne suis plus vraiment dans le pays que je voulais connaître seul.



Je voudrais avoir le talent de mieux décrire cela, en même temps que ce sentiment est peut-être trop peu fermenté pour se dire comme il faut, mais j’ai trop peur qu’il ne m’échappe tout-à-fait si je n’en dit rien maintenant. Ainsi : ce dont je suis sûr à cette heure, et bien que l’idée soit faible, c’est qu’il peut jaillir beaucoup de choses étranges du surgissement du là-bas dans l’ailleurs, du connu et de l’intime dans le monde que l’on a apprivoisé seul, et où l’on ne doit qu’à soi les repères que l’on y a tracé. Ces deux visites n’ont pas atténuées mon rapport à l’étranger comme on pourrait le craindre de la compagnie d’un proche qui serait là depuis le débarcadère, elles y ont apposé un ton que je connais bien mais qui, en même temps, le bouleverse, et qu’il me faut donc adapter. Soit un effort nouveau, peut-être, qui je l’espère me sera profitable, en ce qu’il pourrait élargir l’appréhension que j’ai de la réalité, disons, et toucher à l’équilibre que je tente d’y trouver.

mercredi 6 janvier 2010

Les jours tièdes

Petite, la voix de la raison me dit que l’hiver, après tout, n’en est qu’à ses débuts, et que janvier n’a pas six jours – pas tout à fait. Et puis, je n’ai jamais vu tant de neige de ma vie, ni de tant de sortes. Surtout, je ne sache pas qu’un autre hiver m’ait initié au froid : je l’ai appris cette année, un soir que je rentrais chez moi, et je l’ai révisé un matin que j’en sortais. J’en ai déduit qu’il n’y a pas de froid sans vent, qu’il faut avoir la sensation qu’on vous martèle un clou dans le front pour le reconnaître, et que sitôt que j’aurai quitté le Québec, il n’y en aura plus jamais.

Oui mais voilà, deux fois n’est que deux fois, et il se peut que je veuille plus de neige : après tout, ce désir n’a pas de fin. Or, les premiers jours de cette année nouvelle, à l’instar des derniers de sa parente, vont a contrario de ce que je souhaite. Par trois fois, si ce n’est plus, et comme pour singer les printanières, les températures ont glissé leurs blancs jupons de l’autre côté du zéro, en terrain positif. Jamais longtemps, certes, mais tout de même : deux fois au moins, il a plu ! La première donna le jour le plus dégoûtant de la saison, pour sûr, avec ses boues sales se déversant dans les rues de Québec comme des lahars glacés, inondant les places, pénétrant les mauvaises bottes… J’ai mieux supporté l’autre fois, mais c’était que je ne sortais pas.

Alors oui, la raison n’a pas tort de me dire que médiocre n’est pas mauvais, et que cela n’est pas tout l’hiver, et que puis-je y redire ? Sinon que je n’aime pas la tiédeur, et que j’aime mieux qu’un temps soit franc plutôt que de se complaire dans ses hésitations. A quoi elle rétorquerait peut-être que j’ai le comportement d’un spectateur qui en veut pour son billet, voire : d’un touriste ! Mais elle se méprendrait, car ces frustrations (toujours exagérées, d’ailleurs) je les prends aussi pour mon voyage, et quoique je préfère illustrer tout ceci par un plaisir de salon.



jeudi 31 décembre 2009

Les gens n'aiment plus l'hiver I

La Mère :
Les soirées d'hiver
C'était donc tranquille
Tout ce qu'y avait à faire
C'était de s'asseoir
Pour écouter la grosse truie
Qui ronflait
Qui nous réchauffait.
L'hiver a toujours été
Ce que j'ai préféré.

Médéric : On gelait ! Maudi torvisse, on gelait ! Debout dans la neige jusqu'à la ceinture à essayer de défricher ce maudit terrain. Le vent soufflait pour nous geler les narines pis les sourcils. Y avait des gars qui étaient trop fiers pour dire qu'y avaient frette. Des fois y en tombaient malade, assez malade qu'y revenaient jamais !

A. Paiement, La vie et les temps de Médéric Boileau

Lac gelé, quelque part dans les Laurentides

Skieurs de fond sur les Plaines d'Abraham, à Québec

samedi 19 décembre 2009

In french, please.

Soit qu’elles sont comiques, soit qu’elles n’existent pas, les indications sont assez peu satisfaisantes au Québec pour qu’on en vienne souvent à demander son chemin et, se faisant, à multiplier les anecdotes. J’étais ainsi à Montréal et tout frais sorti de la très parisienne station : Champ-de-Mars, et j’avais dans l’idée de rejoindre le bord du Saint-Laurent en même temps que je ne savais pas de quel côté partir : d’où que j’en vins, une fois de plus, à couper le galop du premier passant venu pour lui demander mon chemin.
Je lui fis une question bien française et la mieux tournée du monde, mais il y a fort à parier qu’il ne la comprit pas, comme il me répondit, sitôt mon point posé :

-In english, please.

On n’est pas longtemps a Montréal sans comprendre qu’un bon bout de Canadiens n’y comprennent pas un traitre mot de français, et comme ce n’était pas la première fois – oh, loin de là ! - que mon guide d’un instant ne le connaissait pas, et qu’on n’est jamais trop malheureux de s’essayer à d’autres langues, je me reformulai bien vite en latin :

-Do you know where is the river?

La magie opéra : j’eus de suite ma réponse, et nos chemins se délièrent sur un sonore “thank you so much”, que je regrette à présent. Parce que ce monsieur, dont les intentions n’étaient sans doute pas mauvaises, n’a pas dit : “I don’t speak french, do you speak english ?”, il a dit :

-In english, please.

On se souvient de cette dissertation que fit un Allemand du XVIIIe siècle pour montrer qu’il en va du bon cholestérol que de parler français, que cette langue a fait des enfants à la Vérité et qu’on a avantage à la répandre autour de soi comme Sganarelle le tabac. L’anglais aurait-il à ce point récupéré ces vertus qu’on puisse l’exiger de tout un chacun en n’importe quelles circonstances, et quand bien même on ne serait pas en pays tout-à-fait anglophone ? Serait-ce risquer un ridicule que de douter que son interlocuteur le connaisse, assez pour employer l’impératif ? C’est bien plutôt le Montréalais francophone qui devrait répondre à ses interlocuteurs : “en français, s’il vous plaît”, parce que c’est encore le Québec ici, et parce qu’il en va de la survie de sa langue dans la plus grosse ville de son État où, me dit-on, elle régresse comme neige au soleil – gros tas de neige, certes.
Certains le font sans doute ; mon hôte, en tous cas, dit ne pas répondre aux Montréalais qui ne lui parlent qu’en anglais : quoiqu’il y ait une violence certaine à refuser de répondre dans la langue de son interlocuteur tout en exigeant qu’il en apprenne une autre, je crois que c’est ici plus sage que de se montrer civil, du moins dans les aires cosmopolites où, comme ici, une langue officielle mais fragile commence à reculer face a un géant qui, osons-le, n’a pas besoin d’être défendu.


mardi 15 décembre 2009

Les douceurs d'Orléans

A la fin du mois de novembre, époque qui me semble lointaine aujourd’hui que la neige a tout recouvert, et tout modifié, une amie du Connecticut est venue qui n’a pas boudé ma proposition d’aller voir un peu le marché du Vieux-Port, celui-là même où j’avais goûté mes premiers bleuets, et qui est l’endroit nécessaire à qui veut tâter du produit local, hors poutine. Nous nous sommes approchés de l’étal d’un producteur de l’Ile d’Orléans et nous sommes laissés happer par sa verve commerciale, logorrhéique mais, nous l’avons vérifié par la suite, oh combien pittoresque. Cependant que je tentais de savoir si mon amie buvait les paroles du monsieur, au reste charmant, ou si elle avait certain talent pour la comédie, on nous donnait tour à tour des échantillons de produits à base de pomme, comme c’est la spécialité de ce producteur là, et, quoiqu’ils étaient, naturellement, de très petite taille, leur nombre fut assez grand pour nous donner après la sensation d’avoir « bien mangé et bien bu » - assez, du moins, pour nourrir la culpabilité de celui qui n’achète pas.

De droite à gauche : mon amie Marine, un monsieur sorti
de Shinning ou de Pet Semetary, le marché du Vieux-Port.

Quelques jours plus tard, nous sommes retournés au marché avec la ferme intention de prendre une bouteille à notre insulaire. Après avoir refait la série des échantillons, parce que, comme la Sophie des malheurs, on ne peut choisir un unique chocolat sans connaître tous ceux de la boîte, nous nous sommes accordés sur une « mistelle de pomme et de sirop d’érable », vin de pomme certes un peu fort, mais d’une saveur unique. Cependant, un porte monnaie mieux garni ne devra pas s’arrêter là, car il y a parmi ces liquides bien d’autres combinaisons, et tout autant de plaisirs introuvables – sauf le moût de pomme, qui compte pour du beurre puisque nous en avons l’équivalent en France, bien que nous l’appelions uniquement par la marque qui le monopolise.

De gauche à droite : avant la bouteille,
après la bouteille.

A propos de beurre, l’étal orléanais proposait aussi de succulents beurres de pomme, produit très répandu au Québec, et que je n’ai pas goûté là pour la première fois, mais pas non plus pour la dernière. C’est, parmi tout ce que nous avons essayé, peut-être le plus facile à décrire : il faut imaginer une compote dont la texture est très fine et dans laquelle se retrouvent les notes profondes du beurre chaud : délicieux. Et je ne parle pas du beurre d’érable, mais c’est que le marchand n’en proposait pas.

mercredi 9 décembre 2009

Première tempête de neige

Dimanche dernier, c’était encore une dépression en développement au-dessus d’un Colorado lointain, mais dont on prévoyait déjà qu’elle serait poussée par les vents du sud, et que, s’acheminant ainsi vers l’est du Canada, elle prendrait de contrées en contrées davantage de puissance, pour en atteindre le dernier seuil à l’abord des régions de Montréal et de Québec. Tant attendue, tant redoutée, la voici, la tempête de neige, la première de l’hiver, et la fin de l’automne ! Et jamais je n’ai suivi d’aussi près un phénomène météorologique.

Proust – comme nous ne sommes pas à la Réunion et qu’il y a des plaisirs qu
’on manque à ne pas avoir de cyclones, nous aurons bel et bien la fantaisie de nommer nos tempêtes de neige – a le mérite d’avoir été ponctuel, comme en effet on l’annonçait pour aujourd’hui et qu’il n’y a pas manqué ; sa venue fut d’autant plus théâtrale que les jours précédents avaient été calmes et lumineux.

7h30.


J’ouvre les rideaux : le ciel est gris, le vent s
emble assez fort, mais pas tant que ça. Le petit « météo média » en bas de l’écran de l’ordinateur indique qu’il fait -7° et qu’il tombe une « faible neige », ce qui est tout à fait faux, et d’ailleurs je m’offusque. Je m’en vais m’enfermer dans un amphithéâtre pour un examen.

8h30.

Le professeur de linguistique, dont la neige, en trente-trois ans de carrière, n’a jamais interrompu le moindre cours, arbore un grand sourire de vainqueur et distribue ses copies. « La tempête, c’est après mon cours, mais jamais pendant. »

10h00.

Je sors de mon examen en espérant d
écouvrir, à travers la première fenêtre venue (mon amphithéâtre n’en avait pas) un gros tapis blanc et des gens emportés par les vents furieux ; mais, comme on s’en doute, il n’y avait rien à cette heure. Je sors, je note le bruit sec que font les feuilles mortes qui roulent sur le sol gelé, et les gens qui parlent ou jurent à propos d’une tempête qui doit s’être attardée dans une boutique-souvenirs à Montréal. Je vais à la bibliothèque.

Vers 12h40.

Deux ou trois flocons, puis rien ; et puis, deux ou trois à nouveau, mais suivis cette fois, et bientôt la musique se fait plus régulière, il commence à neiger, et de plus en plus fort.

Plus tard.

Le vent est trop vif et le sol trop sec pour que la neige s’y accroche, les dépôts sont ainsi balayés et font de petites brumes affolées au-dessus du sol, lesquelles donneront bientôt la « poudrerie » dont le tocsin sonne depuis ce matin sur météo média.



Et un peu plus tard...

Le tapis se forme nonobstant.



Vers 16h00.

Je quitte la bibliothèque et veux rentrer chez
moi ; évidemment, il est hors de question d’emprunter les couloirs souterrains. Dehors, la bordée m’arrive jusqu’aux chevilles, et parfois plus haut, comme le vent la rend irrégulière et forme des dunes à partir du moindre relief. Le vent est violent et glacial, plein de poudrerie, il faut marcher la tête baissée et chaque pas est un effort ; non loin de moi, une fille qui progresse aussi mal que moi, me voit et se met à rire, et c’est bien sûr contagieux. Il n’y a pourtant pas de raisons pour, sinon peut-être – elle est sans doute toute imaginaire – celle que nous en soyons tout coup là, à jouer les explorateurs polaires de seconde zone juste pour rentrer chez nous, alors qu’hier encore tout était vide, et la nature indifférente.
L’his
toire de Proust n’est pas finie. Il est né au-dessus du Colorado, il a fait des orages et des tornades dans l'est des Etats-Unis, et il poursuit son développement monstrueux en déversant ses neiges et ses vents sur le Québec ; nous en reparlerons peut-être, et vous laissons sur un portrait de la bête.

Proust, tel qu'il était mardi.

Oh, quittons-nous plutôt sur un portrait de moi, parce qu'on ne m'a pas assez vu ici depuis un certain muffin, et parce que cela fait un prétexte pour ajouter là une image enneigée ; voici.